Team Sellsy
7/6/2019
- mis à jour le
Bière artisanale et pédagogie, le brassage unique de Martin Pellet
Sommaire
Bienvenue sur ce troisième épisode de notre série La Belle Histoire. Chez Sellsy, nombreux sont les échanges avec des entrepreneurs de tous les horizons. Quotidiennement, nous sommes surpris par la passion qui les anime à exercer leur métier.
Dernièrement, nous vous avons présenté le parcours du créatif designer industriel Patrick Jouffret. Primé pour son travail, cet ingénieux entrepreneur tire sa force d’une devise simple : tout objet peut être amélioré. Nous avons ensuite interviewé Alan Alfonso Peral, un véritable globe-trotteur. Rugbyman et fougueux navigateur, il a hissé les voiles pour partir à la conquête d’un écosystème marin dépollué.
Pour ce nouveau volet, nous nous sommes longuement entretenus avec un entrepreneur à la tête d’un véritable petit empire autour de la bière artisanale, Martin Pellet. Porté par de fortes valeurs pédagogiques, il nous a confié comment il imagine, conçoit et réinvente un univers qui le passionne depuis ses années lycée. D’un atelier de brassage au lancement de sa propre marque de bière, en passant par l’ouverture d’un bar à Paris, Martin démocratise la bière artisanale et séduit tous les amateurs de petites mousses.
Martin, avant de vous lancer dans cette fabuleuse aventure entrepreneuriale, que faisiez-vous dans la vie ?
Je travaillais en tant que consultant en stratégie à Paris. Mon environnement était particulièrement challengeant avec de lourds horaires. Mes missions étaient très variées, le boulot vraiment très intéressant car j’apprenais perpétuellement, mais mon travail manquait de sens.
Je veux dire par là que si, oui, il y avait un challenge intellectuel à chaque nouvelle mission, mais allez optimiser une supply chain ou les processus dans une usine n’avait rien de palpitant. Je n'avais pas envie de me lever le matin. Mon métier ne me faisait pas vibrer et cela ne pouvait pas continuer ainsi.
Mais, comment plonge-t-on dans l’univers de la bière alors que l’on évolue dans un cabinet de conseil ? Comment la fièvre du brassage vous a-t-elle gagnée ?
En fait, j’ai commencé à brasser quand j’étais au lycée. C’est grâce au brassage que j’ai découvert l’univers de la bière. Comme beaucoup de personnes qui débutent, j’ai acheté des kits de brassage sur Internet. Quand je me suis rendu compte qu’il était possible et légal de fabriquer sa propre bière en France, je me suis davantage renseigné sur le sujet. J’ai alors commandé un peu plus de matériel.
Au début, on commence par brasser des bières blondes et des bières ambrées, celles que l’on trouve dans les rayons de grandes surfaces. Mais, petit à petit, on se rend compte que l’on peut brasser d’autres types de bières. Il n’y a pas un nombre restreint, c’est l’univers des possibles !
Il existe des goûts hyper surprenants qui vont bien au-delà de ce que l’on a l’habitude de boire. En fait, aujourd’hui, 90% des gens qui entrent dans une bar veulent boire une bière, comme ils diraient “je voudrais du vin”. Mais cela n’a pas de sens. En réalité, il existe une palette aromatique vraiment très large, et donc énormément de variétés à déguster ! En fabriquant de la bière, j’ai découvert un univers très, très riche.
Vous êtes une personne très curieuse par nature. Explorer en profondeur le monde de la bière artisanale était-il devenu une évidence ?
Oui, cet univers attisait effectivement ma curiosité, mais cela allait encore plus loin. C’était à la fois très intéressant, manuel et artisanal. Et imaginez la fierté que l’on ressent lorsque l’on déguste son propre produit ! Par nature, la bière, c’est très convivial, aussi en boire faite maison avec ses potes, c’est super flatteur.
Et puis, à un moment donné, je me suis dit : “Tiens, c’est marrant, ce marché de la bière, il est un peu sous les radars, et fabriquer sa bière, c’est carrément génial”. Et c’est dans ce secteur que j’ai donc décidé de me lancer. Petit à petit, l’idée a fait son chemin. je connaissais déjà un peu le marché, et j’avais l’impression d’arriver après la vague de création de toutes les micro-brasseries. Cela faisait déjà bien 3 ou 4 ans que le mouvement était bien lancé en France, avec notamment beaucoup d’acteurs à Paris.
J’ai alors ouvert un atelier de brassage, La Beer Fabrique. Bien qu’il en existait déjà un à Paris, j’ai voulu créer un lieu un peu différent.
Je voulais permettre aux gens de vivre ma propre découverte de la bière artisanale.
Je ne voulais pas de séances mécaniques où l’on enchaîne les étapes, je souhaitais qu’ils puissent vivre une vraie expérience. La fabrication était en fait un prétexte pour les ouvrir à l’univers de la bière artisanale. Je voulais avant tout qu’ils ressortent de l'atelier en se disant : “C’est marrant, j’avais plein d’à priori au sujet de la bière, mais là, je quitte l’atelier en ayant envie d’aller encore plus loin !”.
Lors de nos échanges, vous m’aviez expliqué que vous aviez eu un gros travail de documentation en amont de votre projet. Comment avez-vous procédé ?
En effet, bien que je connaissais un peu le monde de la bière, je devais impérativement professionnaliser mes connaissances avant de me lancer. Ma passion dépassait à présent le cadre du simple loisir. Après une formation à l’Institut Français de la Brasserie, j’ai acheté la plupart des bouquins qui évoquaient le sujet. Il y a quand même une sacrée différence entre ce que vous savez, et ce que vous voulez enseigner aux autres. Je devais monter d’un cran dans la compréhension et la maîtrise du brassage.
"Mais il y avait aussi un autre univers avec lequel je devais me familiariser : l'entrepreunariat."
Au-delà de mon projet, il s’agissait avant tout de créer une entreprise. Il faut quitter son boulot pour lancer sa propre boîte. Et ça, c’est un changement radical de vie. J’ai alors fait trois choses avant de sauter le pas.
La première a été un très gros travail de lecture. Il y a notamment un livre qui m’a beaucoup marqué, c’est The Morning Challenge. Écrit par un gars qui a monté son entreprise, The Morning Compagny, il y raconte semaine après semaine tout ce qu’il a fait le matin quand il a décidé de lancer son projet. C’est hyper varié et très exhaustif. Il évoque aussi bien le regard des autres, que la façon dont il a annoncé qu’il voulait devenir entrepreneur, que sa recherche de fournisseurs.
En fait, ce qui est intéressant dans l’autobiographie de ce porteur de projet, c’est qu’elle démystifie complètement le fait de se lancer. On se rend compte que c’est une personne un peu comme nous avec ses doutes et ses craintes. Parce qu’en fait, l'entrepreunariat, lorsqu’on le voit de l’extérieur, on ne garde souvent en tête que les success-stories. On ne pense pas forcément à tous les moments de cheminement. Et dans ce livre, c’est exactement l’inverse.
Parallèlement, j’ai aussi regardé pas mal de vidéo, notamment celles de Koudetat sur la chaîne de The Family. Là aussi, cela m’a permis de mieux me projeter et de me conditionner en mode “je veux y arriver !”. Enfin, j’ai également rencontré beaucoup d’entrepreneurs aux profils très différents. Tous leurs retours d’expérience ont été bénéfiques pour mieux normaliser ma démarche et être “sûr” de mon coup !
J’imagine que la vie n’a pas été un long fleuve tranquille lors de l’ouverture de votre atelier de brassage… Quelles difficultés en particulier avez-vous dû surmonter ?
À cette période-là, nous étions deux. Mon associé est parti quelques mois après. En fait, nous avions fait quelques tests avant l’ouverture. Toute la partie montage du projet s’était vraiment très bien passée.
"De l’idée à l’entrée de nos premiers clients dans l’atelier, nous avions mis moins de 6 mois."
En revanche, la partie opérationnelle a été un peu plus compliquée que ce que nous avions anticipé. Le brassage de la bière est assez technique et méticuleux, et lorsque vous le faites pratiquer à 10 personnes en même temps, il faut une parfaite synchronisation. Tout doit être coordonné. Nous avions donc fait des tests avant l’ouverture de l’atelier, mais le premier s’est révélé assez catastrophique...
Nous n’avions pas de ventilation. Il devait faire au moins 50 degrés dans l’atelier, le process de nettoyage n’avait pas été réfléchi, on a mis au moins 6 heures pour tout laver. En fait, nous n’avions pas anticipé de nombreux points. À la fin de ce premier test, quand nous sommes sortis de l’atelier, ce qu’il nous restait à faire nous semblait juste insurmontable. Nous devions ouvrir 3 semaines plus tard, et nous étions persuadés que nous n’arriverions jamais à résoudre tous ces soucis en un si court laps de temps.
Nous avons alors réagi immédiatement en organisant deux autres tests. Nous avions listé tous les points noirs, et notre travail fut hyper efficace. Cela était loin d’être simple, mais 2 semaines plus tard, le second test en condition réelle s’est très bien passé. Notre erreur au départ a été de convier une dizaine de personnes au premier test. C’était trop compliqué à gérer. Pour les deux tests suivants, nous sommes passés à 6 personnes, et là, tout a bien fonctionné.
Le marché de la bière connaît un important dynamisme. Il semble évoluer assez vite face à des consommateurs parfois très exigeants. Est-ce l’une des raisons qui vous a poussé à créer votre propre marque de bière ?
La raison est très simple. Nous sommes en fait très vite arrivés au taux maximal de remplissage de l’atelier. Le succès a été immédiat dès la première semaine ! Il y avait peu d’offres pour une demande énorme de ce type d’activité.
"C’est un peu comme les Escape Game, en 2015, il n’y en avait qu’un, aujourd’hui, ils sont 60 à Paris !"
Avec mon associé de l’époque, nous avions envisagé d’ouvrir d’autres ateliers. Mais en fait, ce qui nous avait frappés lors de nos sessions de brassage, c’était l’énorme engouement pour la bière artisanale et un fort besoin de pédagogie. Il faut savoir que les Français connaissent très mal l’univers de la bière, alors qu’ils en sont de gros consommateurs. Créer notre propre marque de bière artisanale est alors devenu une évidence, avec comme fil rouge la pédagogie. Nous avons renoncé à l’ouverture d’autres ateliers au profit de ce nouveau défi.
Et effectivement, les micro-brasseries se sont multipliées en France. Pour nous, c’était donc le moment ou jamais de se lancer dans l’aventure. Mai au-delà d’une simple marque de bières artisanales, nous voulions également des lieux d’expérience. C’est ainsi que nous avons ouvert en 2018 notre propre bar à bières, Le Bar Fondamental. Production de bières, dégustation (15 tireuses avec des cartes qui changent tout le temps), ateliers de brassage sur place, nous avions trouvé une formule innovante où peu d’acteurs s’étaient encore positionnés. C’était un peu comme une évolution de l’atelier, ça me permettait d'aller plus loin.
Ce qui nous a aussi poussés à ouvrir ce lieu, c’est également le fait que bien souvent, quand on pense “bar à bières”, on imagine une mauvaise expérience. On se représente une salle avec un sol collant et un espace qui sent mauvais ! Nous voulions offrir une image différente, un lieu chaleureux au design travaillé où l’on peut boire des bières faites sur place.
Considérez-vous tout de même que la concurrence peut être une menace ?
Pas vraiment, car le marché est en pleine croissance. Nous, dans notre milieu, on dit plutôt des autres brasseurs qu’ils sont davantage des confrères que des concurrents. Évidemment, dans les chais, on se fait toujours un peu concurrence.
Mais le marché est en plein essor, et il y a de la place pour tout le monde. Et puis, nous avons un concept qui est complètement différent de ce que font les autres, aussi bien au niveau de nos produits que de nos lieux d’expérience.
Et demain, quel sera le prochain challenge ? Car, on semble ne plus pouvoir vous arrêter !
Sur la partie distribution de notre bière, nous allons vers d’autres villes, notamment Lyon, Lille et bordeaux, étant donné que nous avons de la demande. Nous sommes contents de compter quelques clients en dehors de Paris, grâce à une communication axée sur notre côté français, et non ultra local.
"C’était un choix important dès le départ : nous voulions faire une bière française avec des ingrédients français."
Il faut savoir que de nombreux acteurs du marché se positionnent en faisant la promotion de bières locales, alors qu’au final les céréales viennent, par exemple, d’Allemagne et le houblon des États-Unis.
Aujourd'hui, nous sous-traitons. Ce sont nos recettes, mais fabriquées dans d’autres brasseries. À la fin de l’année, nous allons installer notre outil de production dans une exploitation d’orge brassicole. L’objectif est de remonter d’un cran et de maîtriser pleinement les ingrédients que nous mettons dans nos bières.
Cette façon dont vous remontez la chaîne de valeur est vraiment intéressante. Est-ce que vous pouvez nous parler un peu du sourcing ? Comment choisissez-vous le malt, le houblon, et même peut-être l’eau ?
L’eau n’est pas vraiment un souci, car nous allons acquérir un outil de production assez évolué avec lequel nous pourrons la déminéraliser. Du coup, cela enlève la contrainte de la localisation, puisqu’en fait nous pouvons brasser avec n’importe quelle eau, puis la recycler.
Il y a par contre une très grosse quantité de malt dans la bière : il en faut à peu près 20 kilos pour 100 litres (en comparaison, il faut 20 grammes de houblon). Le malt est en fait une appellation pour une céréale qui a été transformée (de l’orge, du blé, du seigle, de l’avoine, etc.) au cours d’un process que l’on appelle le maltage. La transformation se fait dans une malterie qui prépare ensuite des sacs de céréales maltées.
Le problème, c’est qu’aujourd’hui, la plupart des brasseurs ne sont pas en amont de la chaîne. Ils reçoivent ces sacs de leurs fournisseurs, sans savoir si les céréales maltées sont de bonne qualité. Ce n’est pas notre conception des choses.
Pour nous, il est capital d’être proche de l’exploitation d’orge, pour non seulement être au plus près des personnes qui produisent, mais aussi pour sélectionner les meilleures matières premières. Nous voulons avant tout le meilleur pour notre clientèle.